29 ans
29 années entre la dernière fois que j’ai arpenté ce chemin pour monter au lycée Ribeaupierre et cette photo. J’avais 18 ans, aucune idée de ce que je voulais faire dans la vie et plutôt angoissée par cela. Et aujourd’hui c’est ma fille de 18 ans qui me photographie au lendemain de ses résultats Parcoursup. Une facétie de la vie.
Rien n’a changé, la grille en fer forgé qui marque l’entrée est ouverte, les bâtiments semblent identiques, le babyfoot est toujours à sa place, les élèves sourient en regardant les visiteurs se balader dans l’enceinte de l’établissement. Entouré des vignes et des 3 châteaux, le lycée surplombe la charmante ville de Ribeauvillé. Je ne m’étais pas rendue compte que j’étudiais au coeur d’une carte postale. Je ne voyais que l’heure de trajet en bus chaque matin et chaque soir, et l’arrogance des élèves de la ville qui me considéraient comme une plouc venant du canton de Lapoutroie. J’espère que cela a changé, que les jeunes sont plus ouverts et inclusifs.
C’est dans ce lycée que j’ai découvert l’effet Pygmalion avec mon enseignant de français, M. Perusat. Ses commentaires appréciatifs m’ont donné des ailes et la base de la confiance en moi qui m’a permis de tracer ma voie. C’est là que j’ai découvert le courage de se servir de son propre entendement avec la philosophie des Lumières. C’est également au cours de ces 3 années que j’ai appris l’espagnol. Mme Bertevas proposait un enseignement si actif et vivant, que je suis encore capable de comprendre une discussion courante en espagnol. Et heureusement qu’ils étaient là !
C’est aussi là que j’ai découvert ma capacité à résister. Face à la brutalité d’une enseignante d’allemand qui prenait plaisir à humilier ses élèves, je suis devenue muette. Après avoir essayé de comprendre comment apprendre puis comment obtenir une bonne note, j’ai appris à simplement respecter la part de mon contrat : je me présentais en classe et étais silencieuse. Je ne participais pas et je ne répondais pas non plus à ses attaques » Du bist ein Esel », je n’apprenais rien, mais j’étais là et je la renvoyais ainsi à son impuissance. J’ai agi ainsi parce que j’étais disciplinée et ne savais pas comment me comporter autrement. Avec le recul, c’était la meilleure chose à faire.
Ce que je ne comprends toujours pas, c’est pourquoi le directeur d’établissement laissait cela se produire sans rien dire. Cela je ne m’en rendais pas compte à l’époque. Ce n’est qu’en grandissant que j’ai ouvert les yeux sur le fait que les adultes disposent aussi d’un cerveau qui leur permet de tirer des conclusions quand un élève passe de 2 de moyenne en seconde à 16 en première puis à 2 en Terminale. Que les adultes, s’ils sont coincés avec un enseignant dont ils ne peuvent se débarrasser, peuvent s’adresser à l’élève pour le soutenir moralement et lui redonner de l’énergie. Que les adultes peuvent choisir de cautionner par leur silence ou de manifester leur désaccord et leur soutien.
En tout cas, ce que m’ont appris ces années lycée, c’est que chacun peut faire la différence grâce à l’attention et la considération qu’il porte à l’autre.
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